Le constat :
Avec le temps viennent les effets. Depuis leur création il y a plus de 30 ans, les fonds indiciels (ETF) permettent d’investir dans un instrument financier répliquant la performance d’un indice financier (CAC40, NASDAQ, …), c’est-à-dire investir dans chaque actif composant ces fameux indices (le plus souvent des actions d’entreprises) afin d’en obtenir le même rendement.
Le tout sans avoir à gérer quoi que ce soit puisque l’indice n’est qu’un agrégat de valeurs mobilières, regroupées par taille, secteur d’activité, géographique ou type de valeur. Agrégat purement intellectuel qui peut être modifié mais pas de façon aussi fréquente que l’allocation d’un fonds d’investissement à gestion active. Du coup, la gestion est légère et permet de ne facturer que de très faibles frais.
Qui dit frais plus faible implique donc un rendement plus important qu’un fonds qui serait géré activement, contrepartie de frais plus important. Mais seulement sous réserve que l’indice faiblement géré soit aussi efficace qu’un fonds géré activement. Après tout, cela ne va pas de soi. Si je paie (cher) pour gérer mes fonds, c’est que les analystes et gérants connaissent les marchés financiers, sont capables de saisir des opportunités, d’acheter et de vendre à temps et donc de faire mieux qu’un simple indice qui n’évolue pas. C’est même tout à fait logique. Et c’est ce que toutes les sociétés de gestion active vendent.
Seulement, de la théorie à la pratique, il y a un gouffre. Ce gouffre est constitué de statistiques et d’expériences qui viennent majoritairement invalider la théorie. Des expériences comparant le comportement de trader dans leur sélection d’actions à des singes (en réalité, l’expérience n’a pas été réalisée avec des singes mais avec des sélections totalement aléatoires d’actions sur 40 années – peut-être que les singes auraient été encore plus efficaces 😉 aux comparaisons précises de rendement entre les fonds indiciels et les fonds à gestion active, les résultats sont sans appel : les sélections aléatoires et indices sont globalement plus efficaces que des sélections fondées sur la logique et la raison. Et statistiquement, plus le temps passe, plus nombreux sont les fonds qui sont moins performants que les indices (plus de 80% des fonds gérés activement sont moins efficaces que les marchés après huit années d’investissement !).
On pourrait écrire des pages sur les raisons de ce constat étonnant, en mettant en avant les tyrannies du court terme et de l’avidité qui poussent les gérants à se projeter non pas à huit ou 10 ans mais à quelques mois ou 1 an maximum afin de bénéficier d’une importante part variable dans leur rémunération. De ce fait, ils ne sont pas incités à optimiser le rendement rendu à l’investisseur sur le long terme, mais plutôt à pendre des risques à court terme, parfois même en étant conscient du manque à gagner pour l’investisseur à long terme. On pourrait également mettre en avant les frais d’arbitrage et autres interventions de gestion qui ne sont peut-être pas toujours nécessaires (quand ils ne sont pas contre productifs), génèrent des frais qui augmente la rémunération de gérance, justifie de leur présence, mais diminuent de fait le rendement servi aux investisseurs.
Le constat est là et pourtant, la gestion active capte la grande majorité des investissements (en Europe principalement, les USA ayant pris le train de la gestion passive massivement post crise de 2008), bien que les ETF soient de plus en plus connus et plébiscités. Pourquoi donc des investisseurs qui souhaitent investir sur des marchés financiers par nature complexes, choisissent l’option qui est financièrement la moins intéressante, et souvent la plus complexe (l’exemple ultime étant les fonds à formule, qui ont déjà donné lieu à quelques procès …) ?
Quelles explications apporter ? :
Tout d’abord, l’asymétrie d’information : l’information est pourtant disponible et accessible librement et publiquement depuis les débuts de ce type de fonds (et la démonstration faite par Paul Samuelson, prix Nobel d’économie, et considéré comme le fondateur « théorique » des fonds indiciels, la société de gestion Vanguard l’ayant mise en pratique), a été promue par de sages et respectés investisseurs tels que Warren Buffet, bien que lui-même ait une stratégie d’investissement résolument active, mais axée sur le long terme. Warren le conseille pour toute personne qui veut profiter de l’évolution des marchés actions sans avoir à s’y intéresser en détail. Un des mes enseignants de finance m’avait fait le même conseil en observant l’évolution du Cac40 sur le long terme. Néanmoins, nous vivons dans un monde inondé d’informations, et à moins de s’y intéresser (ce qui est mon cas – et implique d’être un peu considéré comme asocial), on ne tombe jamais sur une information de notre banque les mettant en avant.
On touche ici du doigt la deuxième explication, thème qui m’est cher et que je reprends dans d’autres articles : l’intérêt des distributeurs financiers à communiquer sur ces supports. La gestion active rapporte beaucoup à ceux qui la gèrent (c’est un euphémisme) et explique en grande partie les folles rémunérations des traders, brokers, gérants de fonds et analystes financiers. En somme, un gros gâteau partagé entre peu de convives. Or dans le flux d’information pléthorique sur l’investissement, la thématique ETF est marginale. Néanmoins, grâce à des médias d’information financière indépendants ainsi qu’une intervention plus intrusive des régulateurs (en Europe tout du moins, en termes d’information sur les frais prélevés), on commence enfin à voir le sujet abordé par de grands gestionnaires d’actifs qui distribuent directement leurs supports, tels que les réseaux bancaires.
Seulement voilà, si les ETF apparaissent dans les conseils des distributeurs financiers, ni les régulateurs, ni les la presse indépendante n’a suffisamment de poids pour contrôler ce qui est dit, et les informations transmises sont souvent partielles. Il n’est que rarement fait état du rendement des ETF et encore moins comparés aux fonds à gestion active distribués. Au mieux, ils sont conseillés comme un nième moyen de diversifier ses placements (encore un sujet qui m’est cher). Une autre forme d’asymétrie d’information. Les enjeux financiers sont énormes, mais le temps fait son effet et la croissance des encours en ETF est très positive. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas remercier les grands établissements financiers et les distributeurs pour cette évolution positive. Et également, pour l’avenir, nous ne pourrons pas compter sur eux pour cela. Il faut donc que toutes les conseillères et tous les conseillers réellement indépendants travaillent dans ce sens et participent à la démocratisation de ces fonds, quitte à compenser le faible commissionnement (ou l’absence) par des honoraires de conseils fixes qui assureront l’indépendance et renforceront la notoriété du conseil par le rendement supérieur obtenu par les clients satisfaits des meilleurs rendements qu’ils obtiennent. Pour cela encore faut-il avoir une vision de long terme et ne pas être aveuglés par l’avidité.
Sans cela, l’image de la finance n’est pas près de s’améliorer …
François GALVIN
Pour aller plus loin :
- Petit bémol nécessaire : Vous remarquerez que mon analyse est principalement statistique, ce qui implique que certains fonds actifs sont plus performants que les indices, y compris à long terme (20% environ). Le principal problème est de les identifier, et de s’assurer que les gérants/analystes faisant la rentabilité du fonds ne changent pas, ou que la réussite ne se mette pas à les fuir. Mais comme souvent, la distribution n’est pas massive, et l’accès à ces fonds est souvent réservée à des clients de conseillers en gestion de patrimoine, non dépendants des réseaux bancaires, et parfois avec des tickets d’entrée importants. Pour un client non averti, il est compliqué de se faire une idée et c’est la relation de confiance qui est souvent déterminent. Il n’y a qu’à espérer qu’elle soit bien fondée, et que le conseiller n’agisse pas d’abord pour ses intérêts. Aussi et surtout compter sur un facteur chance, car anticiper les performances futures d’un fonds est tout bonnement impossible.
- Vous trouverez ci-dessous deux liens d’articles, un écrit par un site indépendant -un comble- qui abordent les ETF d’une manière contradictoire à la mienne (et à mes yeux un peu biaisée). Soit en les comparant à d’autres types d’investissement (investissement en actions en direct, qui n’a rien à voir en termes de profil d’investisseur/solution => le seul comparatif valable est la gestion active), soit en les présentant comme solution de diversification, complémentaire de la gestion active, alors qu’elle pourrait la remplacer :
https://www.cafedelabourse.com/dossiers/article/5-raisons-de-rester-a-lecart-des-fonds-indiciels
Chapitre 47 du livre de Tim Harford – les fonds indiciels – L’économie mondiale en 50 inventions, PUF 2016
Burton G. Malkiel – Une marche au hasard au travers de la bourse
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