Crowdfunding et Privatisations : un moyen de réconcilier les Français avec les actions ?
L’idée de cet article est née lors de la lecture du très bon rapport édité par l’organisme financeparticipative.org, et notamment le graphique résumant le développement du financement participatif dans toutes ses formes au cours des 4 dernières années.
Étant depuis longtemps féru d’investissement en actions, j’ai accueilli chaleureusement et avec une curiosité naturelle cette nouvelle segmentation de l’investissement qu’offraient ces plateformes lorsqu’elles sont apparues et me suis mis à rêver qu’elles permettraient de réconcilier les Français avec l’investissement au capital d’entreprises, compte tenu de l’engouement généré par certains projets.
En effet, c’est un manque dont bon nombre de nos entreprises souffrent cruellement. Leur capital étant balloté au rythme de l’évolution des cours de bourse, par des fonds d’investissement qui dans certains cas peuvent impacter durablement la stratégie des entreprises, mais rarement dans un sens durable ou sociétal. Par exemple, les fonds activistes dont le but est de maximiser le retour sur investissement de leurs « victimes » sans pour autant se soucier du besoin d’investissement à moyen/long terme – et qui revendent leur participation une fois le citron pressé. Je développe plus en détail et en nuances ce problème dans d’autres articles.
Et depuis 10 ans, des services innovants proposent de financer des entreprises dont le projet fait sens. Ils attirent des investisseurs qui jusqu’ici ne se seraient jamais approchés des actions, avec un coté parfois totalement désintéressé financièrement qui rend grâce au rôle initial mais trop méconnu des actions : représenter un droit de propriété, de vote avant d’être un instrument de spéculation. La démocratie dans l’épargne en quelque sorte.
Mais si le Crowdfunding se développe à bon rythme, ce n’est pas l’investissement en equity (=actions) qui tire cette croissance, mais les prêts et dans une moindre mesure, les dons (ou mécénat). Cette évolution est somme toute assez logique, l’investissement sous forme de prêt étant plus facilement compréhensible, moins risqué et plus rentable que les fonds « obligataires » proposés par les établissements financiers classiques. Mais les prêts ne représentent aucun rôle décisionnaire, citoyen dans l’allocation de l’épargne, en dehors du choix du projet qui sera financé. Les dons, quant à eux, ne représentent à mes yeux que l’amorce du financement participatif. Ils ne peuvent prendre qu’une part marginale du marché, étant donné que cette forme de financement occulte à la fois le rôle « citoyen » de l’investissement – ne donne pas droit de regard ou de vote sur le projet une fois qu’il est financé, et le rôle financier : rémunérer l’épargne.
La seule forme qui englobe ces deux aspects essentiels de l’épargne est l’investissement en equity. Si l’on peut comprendre aisément pourquoi ce type d’investissement régresse (risque élevé, complexité), dépendant de connaissances financières qui n’intéressent finalement qu’assez peu de monde, comment faire rebondir ce type d’investissement après de bons débuts et un recul progressif depuis ? Comment faire en sorte que les citoyens reprennent petit à petit la place centrale qu’ils pourraient avoir (et qu’ils avaient au 19ème siècle) dans notre économie ?
Une des clés de réponse réside, selon moi, dans l’opération réalisée par le pionnier Européen du financement participatif en equity, Wiseed en 2014 relative à la privatisation de l’aéroport de Blagnac. Ce projet de financement, qui n’a finalement pas abouti, a réussi à mobiliser de nombreux investisseurs, tant des personnes qui cherchaient un rendement financier que de citoyens qui souhaitaient juste être partiellement propriétaire d’une infrastructure de leur région et de participer aux décisions. En outre, la visibilité médiatique a été bien plus importante que pour d’autres projets de plus petite envergure et les promesses d’investissement furent très élevées en comparaison des projets de d’entreprises ou de start-up moins connues. Quelle perspective en déduire ?
Approcher l’investissement en actions par le rachat d’entreprises ou d’infrastructures anciennement détenues par l’État ou des collectivités publiques me semble un premier pas essentiel. Le rôle citoyen de participer à un tel projet est évident (éviter que les nouveaux propriétaires soient étrangers et que leurs préoccupations ne soient pas les mêmes que les citoyens, sentiment de détenir une partie importante du patrimoine industriel national, …), mais l’aspect rémunération de l‘épargne est lui aussi beaucoup plus sécurisé que lors de financement d’amorçage d’entreprises qui, même si leur projets sont révolutionnaires, n’en sont qu’au début de leur histoire et peuvent rencontrer moultes difficultés. Et puis cela semble somme toute très logique, lorsqu’un actif était détenu par l’État, qu’il soit prioritairement mis en vente aux citoyens, étant donné qu’il leur appartenait déjà indirectement au travers de l’État.
A l’heure où la privatisation des Aéroports de Paris est remise à l’ordre du jour par le gouvernement et où une bonne partie de la population s’oppose à ce projet, proposer prioritairement aux citoyens le rachat des parts détenues par l’État ne ferait-il pas sens ? Car les principales critiques émises portent sur la divergence de finalité entre un Etat qui n’est pas censé rechercher le profit et des investisseurs privés. Mais si nous sommes les investisseurs privés, chacun à hauteur de nos moyens, il n’y a pas de risque ou de crainte d’une perte pour la nation. En plus, cela rémunérera notre épargne au-delà des taux d’intérêt minuscules des livrets garantis. Au final, étant donné que je n’ai pas vraiment entendu de critique sur cette privatisation mettant en cause le rôle primordial que l’État a dans la gestion de cet actif, les esprits opposés à cette privatisation (ou aux autres) pourraient même en devenir des défenseurs, préférant bénéficier des fruits de cet investissement plutôt qu’un État au sein duquel on ne sait jamais à quoi vont servir les dividendes perçus. Bref, une solution gagnant/gagnant.
Resterait à déterminer les modalités de mise en œuvre d’un tel projet, notamment les acteurs à impliquer, avec les citoyens, si les intentions d’investissement ne suffisaient pas (CCI, autres entreprises privées, …). Également, il faudra déterminer les modalités de représentation et de décision car tous les investisseurs ne pourront pas siéger au conseil d’administration. Là encore, se tourner vers les acteurs du Crowdfunding equity prendrait tout son sens étant donné qu’ils ont l’expérience de la gestion de cette contrainte.
D’une certaine manière, le rachat d’actifs publics rapproche les épargnants des deux aspects essentiels de l’investissement. Et les plateformes de Crowdfunding sont les mieux à même de les intermédier, dans la mesure où leur structure flexible et transparente est déjà adaptée à l’étude de projets d’investissements d’entreprises. Également car leur communication avec les épargnants est directe et sans filtre, et leur image auprès des citoyens ne souffre pas des excès de la Finance moderne incarnés par les banques.
Il faudrait donc que pour chaque projet de privatisation d’actifs publiques, les plateformes de Crowdfunding soient associées aux appels d’offres, voire privilégiées par rapport à d’autres acteurs étrangers notamment, et peut-être même associées à des acteurs industriels plus classiques si le besoin en capitaux ou en compétences est trop élevé pour faire appel uniquement à la foule. Ce faisant, après quelques participations cédées directement et partiellement aux citoyens, les investisseurs intégreront les bienfaits de l’investissement en equity sans avoir à subir des cours de rattrapage d’éducation financière et viendront naturellement investir dans les actions en direct, via les plateformes de Crowdfunding pour les très jeunes entreprises, mais également les entreprises plus matures via les marchés boursiers, et sans avoir cette énervante image de casino qui ne reflète en rien les aspects essentiels de l’investissement.
J’émettrais quand même une réserve (et de taille), qui nous ramène à une période pas si lointaine où les privatisations étaient prioritairement proposées aux citoyens par l’intermédiaire des banques. Je pense notamment à Eurotunnel, Natixis, … qui n’ont malheureusement fait qu’éloigner les citoyens de l’investissement en actions, dans la mesure où des quotas étaient imposés aux banques. Ces « règles » ont eu des effets désastreux pour deux raisons : Le timing d’investissement, les privatisations ayant eu lieu à un moment où les marchés financiers surévaluaient les actifs et les méthodes commerciales des banques, qui ont abouties à des mauvaises ventes, effectuées à des clients qui n’étaient pas disposés d’ordinaire à investir en actions. Il faut donc absolument éviter cet écueil, qui est clairement contre-productif et destructeur de valeur patrimoniale pour les citoyens. Et c’est là où les plateformes de Crowdfunding marquent leur différence, puisqu’elles ne font que mettre à disposition des entreprises dans lesquelles investir, mais n’orientent nullement le choix de l’investisseur. En outre, si les actifs ne sont pas côtés, ils seront moins sujets à la volatilité inhérente aux marchés actions, et toucheront moins les facteurs psychologiques des néo-investisseurs qui poussent à prendre des mauvaises décisions (l’aversion à la perte notamment). Je suis convaincu que ce n’est par cette approche non coercitive, de proposer simplement les actifs anciennement publics aux citoyens en priorité, que nous arriverons à réconcilier une partie des Français avec l’investissement en actions.
François GALVIN
Mon Conseil Financier