- Le battage médiatique depuis la « crise de la zone euro »
Depuis 2011, médias et partis politiques, dans la foulée des marchés financiers, se sont focalisés sur une problème jusque-là grandement ignoré : la dette publique des Etats.
La conjoncture économique moins favorable en termes de croissance à long terme depuis le milieu des années 90 en l’explique en grande partie. En complément, l’instabilité des marchés financiers caractérisée au travers de deux crises financières d’envergure majeure impactant l’économie réelle ont poussé les Etats à effectuer d’importantes dépenses pour « sauver » certains acteurs économiques clés (systémiques) et pour tenter de relancer la croissance une fois les crises passées.
En a résulté une très forte croissance de l’endettement dans les pays développés qui se résorbe beaucoup plus difficilement que par le passé. Et les marchés financiers comme souvent, ont marqué le début de la « crise de la zone euro », avec une brusque chute de la valorisation des marchés action de 20 à 30%. Les marchés des taux souverains se sont envolés et la volatilité jusque-là concentrée sur les actions ont affecté les taux auxquels les Etats empruntent. Les investisseurs semblaient soudain se rendre compte qu’une épée de Damoclès était sur le point de leur tomber dessus.
Le relais a été rapidement pris par les médias et les partis politiques, avec en ligne de mire les élections présidentielles Françaises de 2012. Et à partir de là, on a entendu tout et (surtout) n’importe quoi, sur la dette et le problème qu’elle représente, avec comme leitmotiv le ratio Dette/PIB, censée servir à comparer les niveaux d’endettement des Etats. On a eu droit à tout, des prévisions apocalyptiques annonçant la fin de notre société avec la ponction des comptes des épargnants pour éponger une dette présentée comme le diable, aux comparaison fatalistes montrant l’impossibilité d’infléchir cette forte croissance de l’endettement (le fameux 100% à ne pas dépasser …), le tout ayant débouché sur des mesures politiques (au niveau des Etats et de l’Union Européenne) probablement trop extrêmes et ayant eu des effets contre-productifs au niveau de la croissance.
- Problématique toute relative quand on regarde avec un peu de recul
Encore aujourd’hui, le problème de la dette est pris au sérieux par les pouvoirs politiques et les médias traitant de ces sujets, même s’il n’est plus au cœur des débats. Pourtant peu de monde pense à regarder dans le rétroviseur et regarder les réactions qu’on eu les marchés financiers (ou plus précisément les marchés de taux souverains) depuis 2011, eux qui avaient déclenché cette fameuse « crise de la zone euro ».
Le terme « volatilité » illustre bien ce qu’il s’est passé, étant donné qu’en l’espace de trois ans, les taux d’intérêt des emprunts d’Etat ont chuté de façon franche pour atteindre un niveau moindre qu’avec la « crise ». Ce niveau de taux très faible s’explique en partie par la politique de la BCE et de la FED d’inonder le marché de liquidités, mais également par une perception du risque de la part des investisseurs qui a très fortement diminué. A titre d’exemple, l’Italie empruntait autour de 7% fin 2011 et à moins de 2% trois ans plus tard, bien moins même ultérieurement puisque leur taux d’emprunt à 10 ans a atteint 1,18% en Aout 2016. On peut parler de spéculation … Ce d’autant plus que le problème du stock de dette ne s’était pas réglé (avait même empiré) et la maitrise des déficits, bien que des progrès étaient réalisés, restait très fragile.
Et le dégonflement de ce qu’on pourrait appeler une « bulle spéculative », s’est fait sur fond d’inquiétudes macroéconomiques liées à la faiblesse de la croissance et de l’augmentation des risques politiques avec des suffrages dont les résultats rappelaient le spectre du nationalisme. Si l’on suivait politiques et médias au cours de ces années, les problèmes se cumulaient et la situation ne s’améliorait pas. On ne peut pas dire que les messages transmis à la société civile durant les années 2012-2016 sur la situation économique de la France et du Monde reflétait celui que les marchés (c’est-à-dire un cumul de professionnels dont le travail est de déterminer le prix des obligations d’Etat au quotidien) de taux véhiculaient.
Mais alors, pourquoi un tel écart de perception du risque et donc de l’importance du problème de la dette entre les investisseurs (qui risquent leur capital en cas d’erreur) et la sphère politico-médiatique (qui risque uniquement son image en cas d’erreur) ?
La réponse à cette question relève des mêmes problèmes qui expliquent les votes populistes aux derniers suffrages au travers de la planète, c’est-à-dire la décorrélation entre la connaissance des citoyens (qui détermine le message transmis par les partis politiques et les médias – logique d’audience), et la réalité du fonctionnement du monde économique. La logique de marché que les acteurs transmettant l’information à la société civile utilisent (faire de l’audience) en reprenant des idées reçues au lieu d’essayer d’expliquer les mécanismes réels, pose problème. Ce d’autant plus qu’un des meilleurs des arguments de vente reste la peur. Tout cela mérite un article complet cependant …
Revenons au sujet et replaçons le ratio Dette/PIB dans ce contexte. Il a tout simplement été le l’élément fondamental sur lequel s’appuient de nombreux médias et personnalités politiques, une sorte de « tarte à la crème » sortie dès lors qu’ils souhaitaient parler de la dette. Examinons à présent dans quelle mesure cet indicateur est absurde et n’aide pas les populations à comprendre la situation …
- L’approche pragmatique montre le non-sens de cet indicateur
Le pragmatisme … notre société en manque souvent et à fortiori les théories économiques. Je reste encore atterré de l’importance que les économiste (encore plus que les politiques) donnent à ce ratio. Aucune remise en question, aucune analyse du sens, on l’utilise simplement pour comparer l’endettement entre Etats et on le considère comme référence. Mon ancienne profession de conseiller en banque de détail a probablement influencé la vision pragmatique que j’ai pu acquérir du ratio Dette/PIB à force de l’entendre ou de le lire dans les médias même spécialisés. A force, on finit par se poser la question … mais de quoi parle-t’on au juste ?
La dette est encore le plus simple à expliquer : il s’agit des emprunts en cours et non encore remboursé que l’Etat a souscrit pour investir, faire fonctionner les organes d’Etat lorsque la croissance ne suffit pas à couvrir les besoins et, plus problématique, financer les intérêts d’emprunt (et le remboursement) de la dette existante. Pour faire un parallèle avec notre vie en tant que citoyen, il s’agit du cumul de nos emprunts en cours. Pour l’expliquer en termes de comptabilité simpliste, il s’agit d’un stock, qui apparaitrait au Bilan d’une entreprise.
Parlons du PIB maintenant, que l’on entend plus régulièrement dans les médias, sans pour autant en saisir toujours la portée. La définition est la suivant : La « valeur totale de la production interne de biens et services dans un pays donné au cours d’une année donnée »
Pour comparer, il s’agirait du chiffre d’affaire d’une entreprise dont les bénéfices se calculerait en pourcentage de ce chiffre (la TVA) en raisonnant de façon simpliste. Le PIB apparait donc dans le compte de résultat et non dans le bilan en comptabilité. Pour un particulier, on l’assimilerait plutôt au cumul des revenus (ou de la valeur qu’ils créent si nous pouvions l’estimer). Il s’agit donc d’un flux.
Le pragmatisme consiste à se poser la question suivante : En quoi comparer un stock à un flux a du sens ?
Comparer le stock de dette publique au stock d’actifs publics a du sens. Comparer le déficit public au PIB en a tout autant.
Si l’on considère que la dette représente un risque, ce risque est celui du non remboursement de la dette et donc de la faillite. Faillite qui aurait pour impact de liquider les actifs pour apurer le passif. Ceci est valable pour un particulier qui ne pourrait pas rembourser son prêt immobilier comme pour une entreprise en liquidation judiciaire.
De ce point de vue, la situation de la France et des Etats Unis, que l’indicateur dont nous parlons placerait au même niveau (environ 100% de Dette/PIB), semble bien différente. Du fait de la différence de PIB entre les deux pays (6 fois plus pour les USA) dans un premier temps. Le stock de dette brut est donc bien plus important outre atlantique. Mais qu’en serait-il en cas de faillite ?
Pour reformuler la question : Quels sont les actifs publics Américains (et Français) et suffiraient-ils à rembourser la dette en cas de faillite ?
La réponse à cette question n’est pas facile à trouver de façon précise et la structure fédérale des USA n’aide pas à savoir précisément les actifs qui pourraient être cédés le cas échéant. Des recherches sur ce sujet mériteraient également un article complet !
D’une façon peut être encore une fois simpliste, l’inspiration politique libérale des gouvernements successifs (et du système politique américain d’une manière générale) nous laisse cependant penser que l’Etat possède un minimum d’actifs au profit des acteurs privés mieux à même de gérer le bien commun selon ce courant de pensée.
A l’inverse, l’Etat Français, dont l’histoire politique et économique est beaucoup plus complexe (et fortement inspirée d’idéologies opposées au libéralisme – des plus extrêmes avec le communisme aux plus progressistes avec le keynésianisme), a hérité au travers de divers périodes, d’un grand nombre d’actifs publics. De Monument historiques majeurs dont la valeur est difficilement estimable, à tous les bâtiments municipaux, en passant par toutes les églises et anciens biens du clergé. On peut également y ajouter les participations de l’Etat dans les entreprises (françaises ou internationales) ou encore le patrimoine naturel (parcs nationaux et régionaux) qui, s’il est également difficile à estimer dans l’optique d’une cession, représente une valeur économique par l’activité touristique qu’il génère et surtout une valeur culturelle plaçant la France parmi les premières destinations touristiques au monde.
Une estimation disponible, même si ce calcul reste très complexe, montrait un solde positif en 2009 de 420 Milliards d’euro, mais la dette publique était moindre qu’aujourd’hui. Ceci dit, la valeur des actifs s’est elle aussi appréciée depuis. A titre de comparaison, le patrimoine net total des acteurs économiques Français s’élevait à la même période de 12 000 Milliards d’euro, soit environ 29 fois le patrimoine public. Ce chiffre doit être beaucoup plus important aux Etats Unis, mais il y a fort à parier que la valeur des actifs publics soit loin (voire très loin) de couvrir le stock de 14k milliards de dette.
Bref, il est probablement beaucoup plus simple, lorsque l’on parle de dette publique, de comparer la situation des différents pays avec le ratio aisément utilisable « Dette/PIB ». Mais comme nous avons pu le voir ci-dessus, il convient d’en comprendre les limites et de s’attacher à mieux évaluer les actifs publics susceptibles d’être cédés en cas de problème, pour pouvoir réellement évaluer la situation de chaque pays et permettre de transmettre à tous ceux qui s’intéressent à ce sujet, une information claire et transparente sur le risque que la dette représente.